Prisonniers sans le vouloir.

Quand on s’approche de la réalité on voit qu’il y a beaucoup d’idées obscures, Il y a des concepts qui ne sont pas vraiment bien définis, il y a beaucoup de fausses dichotomies qui ne permettent pas de bien voir ce que l’on pourrait appeler la réalité. 

Et c’est de ces obstacles conceptuels dont il nous est impossible de sortir, que nous le voulions ou non. Nous sommes prisonniers d’une de ces cellules ou de certaines de ces cellules; ou nous sommes simplement prisonniers de toutes ces cellules conceptuelles. Les complications conceptuelles de chacune de ces cellules peuvent faire l’objet de travaux de recherche par toute personne intéressée par l’anthropologie, la philosophie, etc. Nous ne pouvons, pour une question de temps et d’espace, aborder les profondeurs théoriques de chacune de ces cellules, nous dirons seulement en quoi elles consistent.

Et puisque nos lecteurs aiment passer à l’action, et que nous sommes matérialistes, mettons-nous au travail !

La première cellule dont on va parler est : 

La dégénération artistique. 

Le terme Poétique est un concept aristotélique, proposé par Aristote dans son livre du même titre. La Poétique est le premier traité scientifique-philosophique pour l’analyse de l’expérience artistique. 

PÈRIPOYÈTIKÉ : « Nous allons parler de l’art poétique lui-même et de ses espèces ».

Pour Aristote et pour les Grecs en général c’est le concept de MIMÈSIS=IMITATION à partir duquel s’interprète toutes les formes d’arts, la peinture, le théâtre, la musique, etc. Par exemple : la littérature comme « forme d’imiter la réalité avec des mots ».

Et pour classifier tous ces phénomènes artistiques, Aristote va formuler le concept de Poétique et ce concept dirigera toute interprétation artistique jusqu’au XVIII siècle.

Au XVIII siècle un nouveau concept surgit pour interpréter l’expérience artistique et ce concept est L’Esthétique. Il faut remarquer que ce nouveau concept n’a pas comme origine la tradition grecques-latines, tradition méditerranéenne, son origine est essentiellement dans la pensée luthérienne caractérisée par son individualisme. 

L’Esthétique fait référence, vient du terme grec, AISTHÉSIS (aisthêtikos) =SENSATION. Ce terme apparait pour la première fois par la main d’Alexander G. Baumgarten dans son livre : « Méditations philosophiques sur quelques aspects de l’essence du poème ».

À partir de ce moment, l’esthétique va situer comme centre de gravité de l’interprétation artistique, l’individu qui reçoit l’expérience artistique! C’est la sensation psychologique, le filtre à travers lequel commence à s’interpréter tous les arts.

C’est-à-dire que nous abandonnons le concept aristotélique de Poétique et nous le remplaçons par un concept, qui malgré sa popularité, reste aujourd’hui obscure et confus. Nous quittons un concept qui accorde une valeur narrative, une valeur représentative, une valeur mythopoïétique, une valeur d’interprétation collective. Et chacune de ces valeurs sont, constituent l’essence de la Poétique, une poétique qui permet l’interprétation de l’expérience artistique à partir de la formule : FORME ET MATIÈRE (contenu). C’est-à-dire, l’explication théorique avec des composantes imaginaires des différents phénomènes que l’on peut constater dans la réalité, dans nos vies quotidiennes. 

Et je répète que nous abandonnons cette interprétation, pour le concept d’esthétique, qui est la réduction à la psychologie personnelle de l’expérience artistique. C’est la réduction de l’art à une interprétation sensorielle et personnelle de celui-ci. 

La différence est abyssale parce qu’on va d’une objectivation mythique de différents phénomènes qui passent dans nos vies, à une interprétation personnelle et particulariste. On passe de l’interprétation d’un tableau comme la Joconde, où l’on peut convenir collectivement que c’est une femme, qu’elle a un certain sourire et qu’elle est aussi le sujet d’une certaine beauté, à l’interprétation personnelle et psychologique d’un tableau de Jackson Pollock.

Joconde
Rythme d’automne (numéro 30) J. Pollock

Il faut insister sur le fait que l’esthétique se développe au sein d’une cosmovision luthérienne en vertu de laquelle l’interprétation religieuse, l’interprétation biblique c’est faite toujours sur une base personnelle. 

Deuxième Cellule : Toute connaissance est valable. 

Cette deuxième cellule est liée, d’une certaine manière, à la première. En quoi consiste-t-elle?

Bon, nous les héritiers de la cosmovision gréco-latine, nous avons comme habitude et comme objectif quand nous analysons et nous interprétons la réalité, de le faire de façon intelligible. Nous le faisons intelligiblement grâce a une notion, à savoir, la notion de CONCEPT.

Mais, une cosmovision idéaliste quand elle s’approche de la réalité a comme objectif le sensible, l’interprétation sensible de la réalité, et le fait à partir d’une notion, à savoir; la notion d’ÉMOTION. 

On passe de l’intelligible à l’émotivité.

Donc, il y a une différence totale. D’un côté nous avons :

-L’intelligible qui consiste et se structure sur la figure du Concept.

-Le Sensible qui consiste et se structure sur la figure de l’Émotion.

Exemple : 

Imaginons que mon voisin et moi allons écouter un concert. Mon voisin est un musicien de haut niveau, je n’ai pas cette compétence, mes connaissances musicales se résument à faire la chorale pendant les vacances scolaires. L’expérience artistique est différente entre moi et mon voisin. Je ne peux me référer qu’aux capacités kinesthésiques que la musique provoque en moi, je peux être obsédé, captivé par l’expression faciale du chef d’orchestre, même à cause de mon inexpérience, même la toux ou le bruit de la personne qui mange le pop-corn à mes côtés me détourne de l’expérience artistique du concert. 

Au contraire, mon voisin musicien spécialiste peut avoir et a une expérience artistique différente de la mienne, comme nous l’avons déjà souligné. Il peut établir des harmonies ou des disharmonies dans l’ensemble total du concert. Il peut remarquer les fluctuations entre les aigus et les graves dans différentes tonalités musicales. Il peut se rendre compte de la cohérence entre les musiciens et le chef d’orchestre. Il tiendra également compte de la température et de la taille de la salle où se déroule le concert afin de déterminer le degré d’expansion sonore optimal pour l’écoute du public. Et il ne sera pas influencé par le voisin qui ne sait pas rester calme, ni par le bruit des mangeurs de pop-corn.

Et c’est ça la différence entre une interprétation conceptuelle de la réalité et une interprétation qui seulement s’intéresse au sensible.   

Troisième cellule : Le relativisme culturel.

Relativisme culturel en vertu duquel toutes les cultures sont pareilles. 

Pour ne pas ennuyer mes chers lecteurs, je ne vais pas aborder ici les origines de l’idée de Relativisme culturelle et son idée corrélative, à savoir, l’Ethnocentrisme. Même si cette histoire nous aiderait pour argumenter contre le relativisme- culturel, nous ne pouvons pas le faire maintenant, simplement, nous allons en faire un petit portrait. 

C’est Marvin Harris dans son livre « Matérialisme-culturel : la lutte pour une science de la culture » qui nous dit que tous les systèmes culturels sont intrinsèquement égaux en valeur et en dignité, et que chaque système et chaque culture doivent être évalués et expliqués par eux-mêmes à partir de leurs propres systèmes de valeurs et de concepts, donc, toutes les formes de cultures sont respectables et parfois même, elles sont un exemple pour nous!

Et l’Ethnocentrisme c’est la croyance que notre système culturel est supérieur et que les individus qui sont en dehors de notre système, nous les considérons comme sauvages, inhumains et irrationnels.  

Donc, nous avons :

Relativisme culturel      –     Ethnocentrisme 

Cette cellule est complément obscure, parce que l’idée de politique que nous avons comme société, l’acceptation de qui nous sommes comme personnes, tout cela dépend de notre notion culturelle, de notre position, par exemple si nous sommes relativistes ou si nous sommes ethnocentristes. 

Le relativisme culturel est considéré par beaucoup d’anthropologues comme la forme la plus pure et élaborée de la science anthropologique.

La fameuse phrase de Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie » est un bel exemple de ce que l’on veut dire. 

Pour finir, on peut dire que ces anthropologues persistent dans l’erreur quand ils appliquent l’idée de forme et matière.

Ils fondamentalisent la forme : « Toutes les cultures sont pareilles ». 

Mais, ils ne s’occupent pas de la matière. Peu importe le contenu réel, peu importe ce qui se passe à l’intérieur de chaque culture.

Par exemple :

Comme vous le voyez dans le tableau, ils ne s’occupent pas de la réalité matérielle qu’il y a dans les différentes cultures, de la distance si grande qu’il y a entre elles. Pour cette raison, c’est une cellule qui ne traite pas de la réalité et quand elle le fait, c’est de mauvaise foi dû à la correction politique du moment.

Quatrième cellule : La Dictature linguistique.

La philologie est une science de la langue, qui dans la cosmovision gréco-latine, est la science qui étudie les concepts linguistiques. Mais dans notre présent, on voit qu’il a un fondamentalisme de la philologie, on pourrait dire qu’on a fait de la philologie une circonférence de rayon infini, nous sommes passés de la philologie conçue comme une science a la philologie conçue comme la Science de la Totalité. « Il n’y a rien hors du texte » « Tout est texte » (J. Derrida).

Exemple de réflexion postmoderne :

« Tout est texte, le texte est composé de mots, les mots composent le dialogue, le dialogue est une forme de texte, nous arrivons donc à la conclusion que ce n’est que par le dialogue (qui est une forme de texte) que nous pouvons résoudre tous les problèmes politiques et sociaux ».

Le dialogue est une preuve de civilisation.

Pour cette raison, la constante appelle au dialogue, on veut résoudre toutes les problématiques avec le dialogue! Et nous ne disons pas que le dialogue n’est pas nécessaire! Le dialogue est une preuve de civilisation. Ce que nous disons, c’est que pour dialoguer nous avons besoin du LOGOS, nous avons besoin de critères. La réalité n’est pas un texte, elle est aussi composée de logos, de raison. Nous pourrions dire que nous sommes dans la situation de ne pas vouloir reconnaitre, de ne pas vouloir voir, de ne pas vouloir accepter cette grande vérité, dite par de nombreux sages à travers l’histoire, à savoir; « on ne peut pas dialoguer avec ceux qui ne savent pas raisonner ».

Cinquième cellule : La Réduction Ontologique.

Nous sommes dans la réduction ontologique et cette réduction est contradictoire parce qu’après plusieurs siècles, plus ou moins 24 ou 25 siècles de discussion ontologique, nous en sommes arrivés à la conclusion que l’être est matériel, si l’être n’est pas matériel, l’être n’existe pas, c’est aussi simple que cela.

Nous, dans la vie quotidienne, nous sommes en contact avec des choses réelles, avec des choses matérielles. On peut se rendre au travail dans une voiture, dans un autobus, mais on ne peut pas aller au travail sur une licorne. On ne peut pas aller diner au restaurant avec un démon, aller au restaurant avec un fantôme. On rentre en contact avec des entités opérationnelles, qui ont la capacité de faire des choses, qui nous appellent pour annuler notre rendez-vous au restaurant, par exemple. On ne peut pas faire l’amour avec un fantôme à moins d’avoir besoin d’un psychiatre. 

Pour le dire autrement, nous ne pouvons interagir qu’avec des réalités corporelles.  

Toute interprétation de la réalité, toute interprétation humaine de la réalité, doit être basée sur des évènements réels, sur des faits que nous pouvons vérifier, que nous pouvons voir de nos yeux, et c’est à partir de ces faits que nous faisons l’interprétation de la réalité, une interprétation avec le moins d’erreurs possibles.

Mais qu’est-ce que la réduction ontologique? À quoi réduisons-nous la réalité? 

Réponse : Au psychologisme, nous réduisons l’ontologie au psychologisme! 

Si je réduis la réalité à ce que je ressens, à ce que je pense, si la réalité est ce que je ressens ou ce que je pense qu’elle est, et non autre chose, je suis prisonnier de ma propre fantaisie ou de ma propre ignorance. 

On dirait, chers lecteurs, que la pensée idéaliste d’aujourd’hui – on pourrait oser la thèse – veut de façon explicite réduire la réalité au pire de toutes les psychologies qui existent.  On ne peut pas oublier que notre deuxième cellule, est la réduction de l’intelligible au sensible, donc cette réduction, nous amène à réduire l’ontologie à la psychologie. 

Il suffit que je sente que je suis un éléphant pour être un éléphant. Il suffit que je sente que je suis un hippopotame pour être un hippopotame, une pomme de terre, un concombre, etc. 

Et dans cette même logique, imaginez, chers lecteurs, qu’à chaque fois que quelqu’un sent ou pense que nous ne valons rien pour lui, il puisse nous virer du travail, ou ne pas nous accorder l’attention nécessaire quand nous le réclamons, ce qui est très à la mode aujourd’hui, simplement parce qu’il pense ou sent que nous ne sommes rien.

En marge de ce que nous ressentons, peu importe ce que nous ressentons, ce que nous sommes vient d’abord ontologiquement, parce que je répète, je peux me sentir un éléphant, mais je n’en suis pas un, je suis cette personne qui est en train d’écrire cet article.

À bientôt mes chers amis.

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