De la jalousie

« Pourquoi tu me frappes ? » furent ses derniers mots avant d’être poussée dans les escaliers.

« Parce que tu as souri au boulanger », fut la réponse du petit ami avant de pousser la fille dans les escaliers.

Si cela ne vous dérange pas, chers lecteurs, parlons de la jalousie en tant que phénomène. Analysons cette jalousie qui fait tant de mal aux êtres humains et aux sociétés.

« La jalousie, observe le duc de La Rochefoucauld, se nourrit de doutes, et se transforme en fureur ou s’éteint dès qu’on passe du doute à la certitude. »

Exactement : une fois l’infidélité confirmée, on peut se sentir en colère ou avoir le cœur brisé, mais pas jaloux. La jalousie, en effet, est inséparable du doute et de la suspicion. Mais, à ce qu’a dit François de la Rochefoucauld, j’ajouterais que c’est une condition essentielle du soupçon jaloux qu’il lui manque le moindre fondement objectif. C’est un soupçon sans fondement. Si nous sommes réellement trompés par notre partenaire, le doute et la suspicion que nous entretenons, avant la vérification de la dite tromperie, nous causeront sans doute un malaise et une douleur assez similaires, voire identiques, à ceux éprouvés par le jaloux; mais il faut nuancer que chaque fois que le soupçon et le doute portent sur quelque chose qui se produit réellement, ils dénotent une perspicacité plutôt qu’un caractère jaloux.

La jalousie est un phénomène que nous devons combattre.

Il est surprenant de constater à quelle fréquence les gens, nos collègues de travail utilisent le terme « jalousie sans fondement » sans se rendre compte à quel point il est redondant. La jalousie est toujours infondée. Une jalousie fondée n’est pas de la jalousie, c’est de l’infidélité.

Bien sûr, il peut aussi arriver que celui qui est fréquemment jaloux sans raison, frappe une fois par hasard. Dans ce cas, tout ce que nous avons à dire, c’est qu’il a mis tant d’efforts et de ténacité à être cocu que, finalement, il a réussi. Il y a des gens qui font tellement d’efforts pour être stupides en public, se montrer de vrais idiots, qu’ils finissent par y parvenir.

Nombreux sont ceux qui soutiennent que la jalousie est un sentiment, pas une émotion ou une passion. 

Analysons cela avec un peu de patience si la patience de mes lecteurs le permet :

Que la jalousie ne soit pas une émotion est une évidence, parce que les émotions, bien qu’intenses, sont passagères et de courte durée. Je doute cependant que la jalousie puisse être considérée comme un sentiment. La jalousie, il est vrai, partage avec les sentiments son caractère stable et durable, mais contrairement à ceux-ci, elle a l’intensité des passions. Et cela, un état affectif intense et durable, c’est justement ce qui caractérise les passions, comme le soulignent les psychologues eux-mêmes. Donc, la jalousie est une passion; j’ajouterais que cette passion transforme le monde devant nous, elle nous « aveugle » sur la réalité. 

La jalousie est une passion pour laquelle on souffre et on fait souffrir. Le jaloux vit plongé dans un enfer d’angoisses et de peurs : peur d’être abandonné, de perdre les bénéfices dont il a joui jusqu’à présent, peur que ceci ou cela, que n’importe qui, soit aux yeux de la personne aimée plus intéressant que lui-même, bref, craigne que ce qui ne s’est pas produit jusqu’à présent se produise demain ou se produise à ce moment précis.

Et parfois, ironiquement, cela arrive; si l’on tient compte du fait que dans la passion du jaloux, non seulement celui-ci s’épuise et se consume lui-même, mais l’autre aussi s’épuise et se consume, qui, finalement, peut choisir d’échapper à un tel cauchemar en utilisant précisément les moyens que le jaloux craignait tant : infidélité ou abandon. Comme le souligne Jean de La Bruyère : « Il y a certaines personnes qui veulent quelque chose si ardemment et avec une telle détermination, que de peur de le perdre, ils n’oublient rien de ce qu’il faut faire pour le perdre. »

Doute, suspicion, angoisse, peur… Y a-t-il autre chose dans la jalousie ? Selon Spinoza, oui.

Selon lui, la jalousie consiste essentiellement en la haine et l’envie. Si quelqu’un s’imagine (nous apprend-il) que la personne aimée est liée à une autre par un lien égal ou plus proche que celui par lequel la personne aimée lui est liée, il sera affecté de haine envers la même personne aimée, et aussi sera affecté d’envie envers cet autre avec qui l’être aimé est lié ou supposé lié. Et le philosophe continue d’expliquer : « Cette haine envers la personne aimée, jointe à l’envie, s’appelle la jalousie, qui n’est donc rien d’autre que les fluctuations de l’humeur nées à la fois de l’amour et de la haine, et accompagnées de l’idée qu’il y a quelqu’un d’autre qui est définitivement envié. »

J’estime pertinentes certaines observations, avec la permission des spécialistes, s’il existe des spécialistes de la jalousie. La jalousie ne naît certes pas de la haine, mais de l’amour (et parfois même pas forcément d’un grand amour, il suffit au jaloux d’avoir un grand désir de possession ou d’admiration). Je ne doute pas que, comme le souligne Spinoza, dans le processus même de la jalousie, on finisse par générer de la haine envers l’être aimé, à partir du moment où la jalousie implique le soupçon de tromperie et de trahison. Par conséquent, il semble correct de supposer que l’état affectif et émotionnel du jaloux évolue dans l’ambivalence amour-haine, dessinant ainsi l’un des types caractéristiques de la frustration due au conflit, à savoir : celle dans laquelle quelque chose nous attire et nous repousse en même temps. 

Ainsi, à l’image affective du jaloux s’ajoute désormais la frustration, et avec elle tous les sentiments qui l’accompagnent : colère, tristesse, impuissance, et assez souvent, agressivité ; une agressivité qui peut être retournée contre le jaloux lui-même ou contre la personne qu’il estime responsable de sa frustration. 

Quelle autre explication peut-on apporter à de nombreux cas d’abus amoureux (physiques ou non) qui, à la limite, peuvent conduire au crime passionnel ? 

Quant à l’envie, je suppose qu’il est clair qu’on peut dire que la personne qui éprouve de la jalousie ressent de l’envie envers la personne dont elle soupçonne qu’elle lui a enlevé, ou est sur le point d’enlever, cette personne qu’elle aimerait posséder exclusivement ; mais, néanmoins, il y a des différences substantielles entre l’envie des jaloux et celle des envieux en général.

Nous ne voulons pas faire une analyse de l’envie (prochainement nous écrirons un article par rapport à l’envie) nous allons seulement souligner que l’envie du jaloux naît parce que le bonheur et le bien de l’autre supposent, en même temps, son malheur et sa propre souffrance. Son envie n’est pas née de la haine ou de la méchanceté, mais du désespoir causé par la peur de perdre la personne qu’il aime ou celle, qu’en tout cas, il ne veut pas perdre.

D’autre part, l’envie de la personne envieuse, même si rien ne va pour elle, même si le bien de l’autre n’implique pas une diminution du sien, et même si, par rapport à ce bien précis, sa richesse dépasse celle de l’envié, il envie le bien étrangé.

Et pour finir les similitudes entre l’envie et la jalousie, il convient d’en signaler une autre : dans ces deux passions, le sentiment d’infériorité occupe une place importante, et, avec lui, le doute sur sa propre valeur, le doute sur l’amour-propre. La personne qui se sent jalouse, l’est parce qu’elle pense que celui qui  la provoque est meilleur qu’elle, et même, en général, parce qu’elle pense que son partenaire peut toujours trouver quelqu’un de mieux, qui qu’il soit, et ce parce que n’importe qui lui semble meilleur qu’elle-même. 

Alfred Adler considère que la jalousie est une ressource névrotique avec laquelle on cherche à humilier et à punir le partenaire, car à travers une telle agression le jaloux parvient, ne serait-ce qu’un instant, à se sentir supérieur et au-dessus de l’autre, ayant l’impression ainsi d’augmenter son estime de soi. C’est la raison pour laquelle le jaloux, du moins le jaloux pathologique, prendra rarement la décision de se séparer définitivement de la personne qui est l’objet permanent de ses soupçons, car cette personne est l’instrument par lequel il gère et apaise parfois, son sentiment d’infériorité.

La manière insatiable dont la personne pathologiquement jalouse teste son partenaire, montre sa faible confiance en soi, sa faible estime de soi et son insécurité. On comprend donc aisément qu’avec son attitude jalouse elle cherche à se faire remarquer plus intensément, à attirer l’attention sur elle, afin d’assurer son impression d’être quelqu’un. Tout sert de prétexte à un nouvel accès de jalousie : un regard, une conversation en société, un mot de remerciement pour un service, une expression d’admiration pour un acteur, un auteur, un proche, voire une attitude indulgente envers le personnel du service de cafétéria de l’école, au travail, ou chez Tim Hortons, etc. 

Nous avions déjà parlé avant que parfois la jalousie n’est pas forcément liée à une relation amoureuse, nous avions indiqué qu’un fort désir de possession ou d’admiration pour l’être aimé (la personne qui était l’objet de jalousie) était suffisant.

On le voit surtout chez les jeunes quand dans leurs premières tentatives pour se rapprocher de la personne qu’ils désirent, ils ne sont pas francs, ils ne parlent pas franchement de leurs intentions à l’être aimé ou désiré, et développent alors un sentiment malsain, et parfois même mortel de possession. C’est une sorte de boucle où l’individu se voit dans la situation suivante :

« Je n’ai pas le courage d’avouer mes intentions à la personne que j’aime et en même temps j’empêche les autres de se rapprocher de cette personne que j’aime »

Il arrive aussi que le jaloux dévoile ses sentiments à la personne aimée, mais que cet amour ne soit pas en correspondance. Ce rejet ne signifie pas que l’amour ni la jalousie disparaitront, ce rejet dans, plusieurs cas, représente une transformation encore plus malsaine de la jalousie antérieure. Voilà pourquoi une éducation adéquate est importante et une éducation est adéquate quand l’individu est capable de supporter un « non » comme réponse.

Et qu’est-ce qu’on peut tirer comme conclusion? La réponse dépend de chacun de mes lecteurs, il y en aura qui se verront identifiés (par actifs ou passifs), d’autres identifieront quelqu’un qu’ils connaissent, les spécialistes liront quelque chose déjà connu, mais c’est bien de le rappeler, et tout le monde sera d’accord que la jalousie est un phénomène que nous devrions tous étudier pour éviter au maximum les misères humaines qu’elle engendre.

À bientôt mes chers amis et amies. 

Laisser un commentaire